Recherche & Enseignement

Le thé froid se refait une santé

Souvent décrié en raison du sucre qu’y ajoutent les fabricants industriels, le thé froid n’est, en soi, mauvais ni pour la silhouette, ni pour le cœur. Bien au contraire: une étude de l’Unifr montre un double effet positif, sur les dépenses énergétiques et le système cardiovasculaire.

Souvent décrié en raison du sucre qu’y ajoutent les fabricants industriels, le thé froid n’est, en soi, mauvais ni pour la silhouette, ni pour le cœur. Bien au contraire: une étude de l’Unifr montre un double effet positif, sur les dépenses énergétiques et le système cardiovasculaire.

Comme chaque année, lorsque la saison des terrasses et des piscines bat son plein, une guerre acharnée se livre entre les enfants et leurs parents: alors que les premiers réclament à grands cris du thé froid, leurs géniteurs essaient tant bien que mal d’en limiter la consommation. Il faut dire que, dans l’imaginaire collectif, cette boisson est presque toujours associée aux quantités astronomiques de sucre qu’y intègrent les fabricants industriels. Donc à ses effets néfastes, prise de poids en tête.

Une étude menée par une équipe de chercheurs de la Faculté des sciences et de médecine de l’Université de Fribourg vient redorer le blason de ce breuvage. Ses résultats, publiés dans la revue Frontiers in Physiology, donnent à penser que le thé froid pourrait jouer un rôle intéressant dans les programmes de perte de poids. «A condition, bien sûr, qu’il ne soit pas sucré», précise Jean-Pierre Montani, co-auteur de la recherche avec Claire Maufrais, Delphine Sarafian et Abdul Dulloo.

 

Etude inédite

«Notre laboratoire (de physiologie intégrative cardiovasculaire et métabolique, ndlr.) s’intéresse beaucoup aux questions de nutrition de la vie de tous les jours. Dans une précédente étude, nous nous sommes penchés sur les différences entre les effets provoqués par l’ingestion d’un verre d’eau à 37 degrés, à 22 degrés ou à 3-4 degrés», explique le professeur. Le hic? «Le contexte de départ de cette recherche n’était pas très réaliste: qui a envie de boire de l’eau à 37 degrés?»

Dans cette nouvelle étude, les chercheurs de l’Unifr ont opté pour une boisson qui se consomme aussi bien chaude que froide et qui, fait non négligeable, «est le deuxième breuvage le plus apprécié au monde après l’eau», à savoir le thé. Alors que de nombreuses recherches internationales ont déjà été menées sur cet aliment, l’importance de sa température sur le métabolisme et le système cardiovasculaire n’avait pas encore été investiguée jusque-là, précise Jean-Pierre Montani.

Afin de s’assurer que les conditions de préparation des thés chaud et froid soient scrupuleusement identiques – et d’éviter dans la foulée de fausser les résultats –, les scientifiques fribourgeois se sont mis en quête d’un thé en poudre à la fois instantané et non sucré. Une opération plus délicate qu’il n’y paraît, étant donné «que la grande majorité des thés instantanés à disposition sur le marché sont sucrés». Ils ont fini par dégoter en Californie un Yerba Maté correspondant à ces critères. Parfois surnommé thé du Paraguay, ce thé caféiné, très populaire en Amérique du Sud, est obtenu en torréfiant, pulvérisant et infusant les feuilles de l’arbre du même nom.

 

La plante de thé vert, Camellia sinensis, de la graine à la floraison. © Getty Images
Double effet positif

La recherche a été menée sur 23 sujets en bonne santé, 12 hommes et 11 femmes. Ces personnes ont bu 5 dl de Yerba Maté lors de deux jours différents, une fois à 3 degrés et une fois à 55 degrés, dans un ordre aléatoire. Durant les 90 minutes suivant l’ingestion, de nombreuses variables ont été mesurées en continu, dont la pression artérielle, la fréquence cardiaque, le débit sanguin pompé par le cœur, la consommation d’oxygène ou encore l’oxydation des graisses. Ces données ont ensuite été comparées à celles récoltées pendant la demi-heure précédant la consommation du thé.

«Notre constatation la plus intéressante, c’est que l’ingestion du thé froid a un double effet positif, à la fois au niveau métabolique et cardiovasculaire», rapporte le chercheur. Au niveau cardiovasculaire, l’étude a montré un ralentissement de la fréquence cardiaque à 52 battements par minute après consommation du thé froid, contre 60 battements avant ingestion. Le thé chaud n’a, pour sa part, entraîné aucun changement notable. «Certes, la pression artérielle grimpe un peu – soit de 2mm mercure – durant la demi-heure suivant la consommation du thé froid. Mais si on effectue le double produit (à savoir la fréquence cardiaque multipliée par la tension artérielle), on obtient un résultat très encourageant.»

 

Caféine en cause?

En ce qui concerne la réponse métabolique des 23 sujets, «nous avons observé qu’après l’ingestion du thé froid, la hausse de la dépense énergétique était deux fois plus importante (+8,3%) qu’après celle du thé chaud (+3,7%)». Cette constatation ouvre la voie à plusieurs nouvelles recherches intéressantes. Il faudrait tout d’abord découvrir quels composants du Yerba Maté – voire d’autres thés – sont à l’origine de ces différences. «Notre hypothèse, c’est la caféine. Des études ont déjà montré que si on avale une pilule de caféine dans un environnement froid, elle développe des effets qu’elle n’aurait pas autrement.» Le spécialiste avoue, sur le ton de la plaisanterie, qu’il espère que cette hypothèse ne se confirmera pas. «Si les gens se mettent à boire des litres de boissons froides caféinées sous prétexte de vouloir perdre du poids, on devra faire face à d’autres problèmes sanitaires…»

Car la perte de poids, c’est bien évidemment l’une des perspectives les plus réjouissantes que laisse entrevoir une dépense énergétique accrue. Mais encore faut-il vérifier que les effets observés par les chercheurs fribourgeois se maintiennent à long terme, c’est à dire qu’il n’y a pas un effet d’habituation du corps. En effet, «cette hausse plutôt modeste de quelques pourcents ne se traduira par une éventuelle perte de poids que si elle se répète». Là aussi, une nouvelle recherche spécifique serait nécessaire. Et quels qu’en soient les résultats, pas de miracle: «Un contrôle durable du poids passe par la somme de nombreuses petites mesures telles que bouger, manger un petit déjeuner équilibré et peu sucré ou encore dormir suffisamment», rappelle Jean-Pierre Montani.

 

Notre expert Jean-Pierre Montani est professeur ordinaire en physiologie systémique à l’Université de Fribourg. Il s’intéresse notamment aux complications cardiovasculaires et rénales induites par l’obésité et à l’impact de la nutrition dans les phénomènes physiologiques.
jean-pierre.montani@unifr.ch