«La lutte contre l’extrémisme n’est ni de gauche ni de droite»

«La lutte contre l’extrémisme n’est ni de gauche ni de droite»

Dans un contexte de fortes migrations, de guerres internationales et d’attentats terroristes en Europe, la Suisse n’est pas épargnée par les tensions sociales et politiques. Un colloque se penche sur la question de l’hostilité envers les musulmans en Suisse, du point de vue de la société, des médias et de la politique. Aperçu avec Martine Brunschwig Graf, présidente de la Commission fédérale contre le racisme.

Ce colloque inaugure une collaboration avec le Centre Suisse Islam et Société (CSIS). En quoi y a contribué la Commission fédérale contre le racisme (CFR)?
La CFR est l’initiatrice de ce colloque et en est co-organisatrice avec le Centre Suisse Islam  et Société et le Centre de recherche sur les religions de l’Université de Lucerne.

Qu’entend-on par «hostilité envers les musulmans»?
C’est l’un des buts du colloque de la définir. L’hostilité s’exprime à travers des sentiments tels que la peur, le rejet, la méfiance. Tous ces sentiments s’observent en Suisse comme à l’étranger.

Dans le contexte des attentats perpétrés par des djihadistes en Europe, ne craignez-vous pas que ce thème soulève une incompréhension?
Les attentats terroristes en Europe et ailleurs sont un facteur qui provoque l’hostilité à l’égard des musulmans en général. Il est d’autant plus important d’aborder clairement cette question de l’hostilité, car les musulmans n’ont pas à être rendus responsables ni collectivement, ni individuellement des actes commis par des terroristes.

Après chaque nouvel attentat djihadiste en Europe, on peut observer des réactions d’apaisement, des manifestations de résistance contre les amalgames, mais aussi l’inverse. Le colloque parlera-t-il des tensions sociales, voire des utilisations politiques, que les attentats semblent favoriser?
Bien des colloques ont déjà traité de ces questions. Pour la CFR, il s’agit avant tout de faire le point sur la situation en Suisse. Je ne peux pas préjuger par ailleurs de ce que les différents intervenants évoqueront concrètement dans leurs interventions.

Y a-t-il, inversement, une hostilité des musulmans fondamentalistes envers les Suisses? Le cas échéant, comment la CFR agit-elle sur cette autre face du problème?
Nous n’observons pas d’expressions hostiles récurrentes de la part d’extrémistes islamistes à l’égard des Suisses spécifiquement. Mais il faut rappeler ici qu’une telle hostilité mériterait d’être combattue au même titre que celle à l’égard des musulmans.

Une récente enquête du Blick affirme que la Suisse est, depuis des années, une «plaque tournante d’imams radicaux» financés par des fonds étrangers, qui «enseignent la haine à de jeunes musulmans» et «entretiennent l’hostilité envers les autres croyances». Ils sont «difficiles à contrôler par les autorités», car ils évoluent «dans un monde parallèle». Comment la CFR envisage-t-elle cette réalité?
La CFR est consciente du fait que la Suisse n’échappe pas au phénomène de radicalisation. Le discours de haine doit être combattu d’où qu’il vienne; et il s’agit, en Suisse aussi, de prévenir, de contrôler et de sanctionner.

Comment faire la part des choses entre un islam vecteur du djihadisme et un islam religieux encadré par la loi?
La réponse est dans la question! Chacun doit respecter la loi et l’Etat de droit. C’est ce qui garantit la liberté religieuse comme les autres libertés. En conséquence, si la loi est violée, si des discours de haine sont tenus dans des lieux religieux et ailleurs, leurs auteurs doivent être poursuivis. Il ne s’agit pas d’être complaisant.  Les moyens légaux existent, il est du devoir de chacun de veiller à ce que la loi soit appliquée.

Que pensez-vous de la prise de position de l’écrivain britannique Salman Rushdie, qui affirmait cette année dans le quotidien L’Obs (8.6.2017): «Il faut arrêter l’aveuglement stupide face au djihadisme qui consiste à dire que cela n’a rien à voir avec l’islam» et «Je suis en désaccord total avec ces gens de gauche qui font tout pour dissocier le fondamentalisme de l’islam»?
La lutte contre l’extrémisme n’est ni de gauche ni de droite. Il ne s’agit pas d’être aveugle, mais d’identifier les dangers sans pour autant rendre ni responsables ni coupables celles et ceux qui n’ont pas à l’être. Il faut se souvenir aussi que nombre de musulmans, dans le monde, sont aussi les victimes des extrémistes islamistes et de Daech en particulier.

Dans le même ordre d’idées, en Suisse, une femme comme Saïda Keller-Messahli, fondatrice du Forum pour un islam progressiste, dénonce dans la NZZ am Sonntag la «naïveté des autorités et des politiciens quand il s’agit d’identifier les liens entre les fanatiques islamistes en Suisse et à l’étranger». Selon elle, «les politiciens de gauche ignorent le problème des imams radicaux, à cause de leur priorité à protéger les minorités». Elle précise bien que «la plupart des musulmans ne s’identifient pas à l’idéologie radicale», mais elle assure que «la majorité des mosquées en Suisse sont conservatrices et leurs imams islamistes, à cause des financements étrangers».Face à ce processus de radicalisation, ne faudrait-il pas un peu plus d’action politique… à côté de la prévention?
La prévention est une action politique! Cela étant dit, ce sont nos institutions démocratiques, notre Etat de droit qui permettent de protéger tous les habitants de ce pays contre l’extrémisme, religieux en particulier.  Bien sûr qu’il faut reconnaître le problème, mais il faut aussi et surtout rappeler quelles sont les règles constitutionnelles et légales que chacun doit respecter. Le fédéralisme laisse aux cantons le soin de régler les rapports entre l’Etat et les communautés religieuses. Il existe des solutions qui permettent un meilleur contrôle lorsque c’est nécessaire. Par ailleurs, il est très important que les autorités puissent dialoguer avec des représentants des communautés musulmanes qui soient largement reconnues et représentatives de la population concernée, comme cela se pratique avec les autres religions présentes dans notre pays.

Que pensez-vous de l’idée que seuls les imams formés dans des universités suisses puissent être autorisés à précher en Suisse? Cela permettrait peut-être de rassurer la population et de prévenir l’hostilité envers les musulmans?
On peut saluer la démarche de mettre sur pied une formation pour les imans à l’Université de Genève. C’est  un pas important pour permettre aux imans de se former dans un cadre qui intègre les lois et les règles de l’Etat de droit.

Le colloque fribourgeois abordera la (re)présentation des musulmans dans les médias.  A votre avis, l’hostilité à l’encontre des musulmans passe-t-elle aussi par les médias ?
Nous prendrons connaissance avec intérêt, lors du colloque, de la façon dont les médias représentent les musulmans en Suisse. Bien sûr que ce qui est relaté dans la presse exerce une influence sur l’image des musulmans et les réactions que l’on peut avoir à leur égard. C’est un phénomène qui n’est pas propre à l’islam.

La collaboration de la CFR avec le Centre Suisse Islam et Société va-t-elle se poursuivre à l’avenir?
Nous l’espérons bien. Les connaissances scientifiques sont un élément important pour le travail de la CFR et ses actions de prévention. Nous aurons donc à nous intéresser dans le futur aussi aux travaux et aux réflexions du Centre.

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Author

Jean-Christophe Emmenegger est rédacteur indépendant. Après sa licence en lettres obtenue en 2005, il séjourne une année en Russie, où il débute le journalisme. Auteur d'études historiques et littéraires sur les relations Suisse-Russie, il publie en 2018 aux Editions Slatkine Opération Svetlana, un livre qui révèle en détail les six semaines que la fille de Staline avait passées en Suisse après sa fuite d'URSS en 1967.

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