La réussite en maths se joue bien avant l’école primaire

La réussite en maths se joue bien avant l’école primaire

Quelles sont les principales compétences qui déterminent la réussite en maths des élèves? Une équipe internationale de chercheurs, dont fait partie la professeure de l’Unifr Valérie Camos, a testé des enfants de 5 et 7 ans.

«De toute façon, les maths, ça sert à rien!» Cette phrase, qui ne l’a pas prononcée, enfant, alors que ses parents pâlissaient en découvrant le mauvais résultat à un examen? Ou ne l’a entendu sortir de la bouche de sa propre progéniture? «Bien au contraire!, répond Valérie Camos. Nous vivons dans un monde où la pertinence et la compréhension des mathématiques sont de plus en plus importantes». Et la numérisation galopante ne fera qu’amplifier cette importance à l’avenir, ajoute la professeure de psychologie du développement à l’Université de Fribourg.

Dans ce contexte, on peut comprendre que le mauvais résultat essuyé par la France – pays considéré comme le leader de la recherche en mathématiques – lors de l’enquête TIMSS 2015 (Trends in International Mathematics and Science Study) ait interpellé. Cette étude internationale, qui porte sur les maths et les sciences, a classé les élèves hexagonaux du CE1 (7-8 ans) 38èmes sur 49. La publication des résultats de la TIMMS a fait couler beaucoup d’encre. Et a fait émerger un questionnement qui concerne aussi bien la France que les autres pays: quelles sont les compétences qui déterminent la réussite en mathématiques dans les premières années de scolarisation? Pour y répondre, une équipe internationale de chercheurs, dont Valérie Camos fait partie, a été mise sur pied.

Enfant ou poussin?
«On sait depuis une trentaine d’années que les individus naissent avec une capacité à discriminer des quantités approximatives ou SAN (pour système approximatif des nombres), explique Valérie Camos. En ce sens, l’être humain ne se distingue pas des animaux: un poussin confronté à deux tas de graines choisira le plus grand.» Alors que certains chercheurs estiment que le SAN constitue la base de la réussite en mathématiques chez les petits, d’autres sont d’avis que c’est la mémoire de travail qui joue le rôle le plus déterminant. «Il a déjà été montré que la mémoire de travail, à savoir la capacité à maintenir des informations en mémoire à court terme tout en traitant d’autres informations, est extrêmement importante dans l’apprentissage scolaire des enfants plus âgés.» Ce sont d’ailleurs les nombreuses recherches de Valérie Camos sur la mémoire de travail qui ont incité les responsables de l’équipe à faire appel à elle dans le cadre de leur étude.

Une troisième compétence potentiellement déterminante pour la réussite en mathématiques a été prise en compte par les chercheurs: la précision du lien entre nombre et grandeur. «Cette notion est intervenue plus récemment dans la recherche. Il s’agit de la précision avec laquelle nous parvenons à associer un nombre symbolique à une grandeur», explique la psychologue du développement. Et de citer l’exemple d’une ligne vierge bornée entre 0 et 100, sur laquelle un enfant devrait placer un nombre donné. «Il s’agit d’une compétence propre aux êtres humains», précise la Professeure Camos.

C’est justement l’étude conjointe de ces trois compétences sur un échantillon de très jeunes enfants qui constitue l’originalité de la recherche à laquelle a participé Valérie Camos. «La mise au point de tests utilisables avec des enfants de 5 ans a d’ailleurs constitué l’un de nos principaux défis, notamment parce qu’il ne fallait pas qu’ils soient trop longs.» Dans le cas de la mesure de la mémoire de travail, les chercheurs ont élaboré «un petit jeu qui obligeait les participants à faire deux choses en même temps». Au final, 73 enfants de 5 ans et 75 enfants de 7 ans ont passé 3 tests chacun. Le premier, qui comprenait des épreuves de calcul mental et des problèmes numériques oraux, avait pour but de connaître le niveau des élèves en mathématiques. Le deuxième visait une évaluation des trois compétences susmentionnées, soit le SAN, la précision du lien entre nombre et grandeur, ainsi que la capacité de la mémoire de travail. Quant au troisième, «il s’agissait d’une tâche d’apprentissage contrôle, à savoir un test de vocabulaire censé démontrer que nos résultats porteraient spécifiquement sur les mathématiques et non pas sur l’apprentissage en général». C’est en effectuant une analyse de corrélation des résultats de ces trois tests que les chercheurs sont parvenus aux conclusions publiées dans le Journal of Experimental Child Psychology.

Un monde entre 5 et 7 ans
«Notre constatation la plus saillante, c’est qu’il y a un monde entre les enfants de 5 ans et de 7 ans. L’étude a mis le doigt sur un moment charnière de l’évolution de l’importance relative des différents déterminants de la réussite en mathématiques.» Valérie Camos s’explique: «A 5 ans, le meilleur garant de la réussite en mathématiques est la précision du lien entre le nombre et la grandeur, suivie du SAN. Par contre, la capacité de la mémoire de travail n’est pas explicative.» A l’inverse, les élèves de 7 ans obtenant de bons résultats en maths sont avant tout ceux qui peuvent compter sur une bonne mémoire de travail et, dans une moindre mesure, sur une bonne précision du lien entre nombre symbolique et grandeur. A cet âge-là, l’acuité du SAN n’est plus un prédicteur. «Entre 5 et 7 ans, on passe donc d’une compétence très spécifique à une compétence générale.»

Les conclusions des chercheurs «révèlent l’importance de travailler bien avant 7 ans, donc bien avant l’âge de l’entrée à l’école primaire en Suisse, sur le lien entre les nombres symboliques et la représentation concrète des nombres.» Idéalement, il faudrait sensibiliser les enseignants de l’école enfantine à cet aspect. «Certains le sont déjà, mais de loin pas tous», poursuit la chercheuse. A la maison aussi, les enfants de 4 à 6 ans pourraient être stimulés à développer ce lien entre nombres symboliques et grandeurs. «Je ne conseillerais pas forcément aux parents de se lancer dans des exercices en tant que tel. Mais plutôt de faire faire à leurs enfants des petits jeux: écrire le chiffre 3 et leur demander de dessiner le nombre d’arbres correspondant, faire travailler la ligne numérique de 0 à 10 (en leur demandant d’y placer le 3, puis le 7), etc.» Valérie Camos en est convaincue, en se montrant créatifs et en intégrant cette approche dans la vie quotidienne, les parents peuvent faire d’une pierre deux coups: booster les compétences de leurs enfants, «tout en leur faisant prendre conscience que les maths sont partout».

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© Stéphane Schmutz /STEMUTZ.COM

Valérie Camos est professeure de psychologie du développement à l’Université de Fribourg et spécialiste de la mémoire de travail. Avec Fanny Gimbert, Karine Mazens et Edouard Gentaz, elle a co-écrit l’étude «What predicts mathematics achievement? Developmental change in 5- and 7-year-old children», parue dans le Journal of Experimental Child Psychology.

Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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