La mémoire de travail a enfin sa nouvelle bible
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La mémoire de travail a enfin sa nouvelle bible

Apparu à la fin des années 1950, le concept de mémoire de travail est au cœur de la psychologie moderne. Trois des plus grandes «pointures» mondiales du domaine, dont la Professeure de l’Unifr Valérie Camos, publient un ouvrage de référence au concept inédit.

Chaque semaine, près de 700 articles scientifiques lui sont consacrés. «La mémoire de travail est au cœur de tout le champ de la psychologie», résume Valérie Camos. Et pourtant, le dernier livre de référence dédié à ce que les Anglo-saxons nomment la working memory date d’une vingtaine d’années. Il était grand temps de dépoussiérer l’état des connaissances dans ce domaine, une tâche à laquelle s’est attelée la professeure de psychologie du développement de l’Unifr en collaboration avec deux autres «pointures» mondiales de la mémoire de travail, Robert Logie et Nelson Cowan. L’ouvrage, intitulé Working Memory – State of the science, sera publié en novembre 2020. «Nous espérons qu’il fera office de ‹Bible› pour les vingt prochaines années!»

La mémoire de travail, quésaco? «En fait, le terme français est mal choisi, regrette la spécialiste. Il faudrait dire ‹mémoire travaillante›, comme en anglais.» Appelée également – à tort! – mémoire à court terme, il s’agit de la structure cognitive en charge du stockage à court terme et du traitement des informations. «Prenons l’exemple de la lecture: lorsque nous lisons une phrase, notre mémoire de travail maintient les premiers mots jusqu’à ce que nous arrivions au point final.» Par ailleurs, elle permet la création de nouvelles représentations mentales à partir des souvenirs stockés dans la mémoire à long terme. Ainsi, «quand nous lisons un texte, nous pouvons comprendre sa signification grâce au sens des mots conservés dans notre mémoire à long terme».

Ce va-et-vient entre mémoire de travail et mémoire à long terme «est au cœur de notre faculté à penser», souligne la Professeure Camos. Loin de n’être qu’une simple mémoire, la working memory «fait l’interface entre notre perception et nos connaissances, constitue un sas entre l’intérieur et l’extérieur». Certains experts «vont même jusqu’à dire qu’elle est le centre de notre conscience». Apparu à la fin des années 1950 dans le cadre de la révolution cognitiviste, le concept de mémoire de travail n’a cessé de gagner en importance dans les sciences sociales. «Aujourd’hui, de nombreux chercheurs issus d’autres domaines, par exemple les addictions, la technologie ou encore la personnalité, y sont confrontés.» D’où l’intérêt de leur proposer un ouvrage faisant le point sur la question.

Tous à la même table
Working Memory – State of the science se veut didactique et accessible à tous les chercheuses et chercheurs, ainsi qu’aux étudiant·e·s avancé·e·s. Pour ce faire, les trois co-pilotes du projet ont imposé un exercice inédit à la trentaine de contributrices et contributeurs internationaux que compte le livre et qui sont «les théoricien·nne·s majeur·e·s du moment» en matière de mémoire de travail. «Nous avons défini une liste de questions et de thèmes centraux, qui doivent obligatoirement être traités au début de chaque chapitre», explique la fondatrice du Fribourg Center for Cognition. Les auteur·e·s doivent par ailleurs proposer un tableau récapitulatif en fin de chapitre. «Les lectrices et les lecteurs ont ainsi la possibilité de comparer en un coup d’œil les différents points de vue; c’est ce qui fait la force de notre ouvrage!»

Cette publication s’inscrit dans la lignée d’un projet de recherche mammouth d’environ deux millions d’euros soutenu par l’ESRC (le pendant britannique de notre Fonds national suisse), dans lequel aussi bien Valérie Camos que Robert Logie et Nelson Cowan sont impliqués. «Chacun d’entre nous est porteur de l’un des quatre grands modèles de mémoire de travail existants, indique la professeure en psychologie. Le projet vise à tester nos trois modèles sur la même expérience, afin de savoir s’ils sont valides.» Le livre constitue, en quelque sorte, «l’apothéose de ces quatre années de travail».

Selon Valérie Camos, l’aspect le plus prometteur de cet immense projet consiste «peut-être dans le fait qu’on assiste à un vrai changement de paradigme au niveau de la recherche». Plutôt que de travailler «chacun dans leur coin et de se répondre par articles interposés», les spécialistes s’assoient à la même table et confrontent leurs différentes perspectives. «A mon avis, ce n’est qu’ainsi qu’on peut faire émerger la nouveauté», s’enthousiasme la chercheuse.

Le rêve d’un modèle intégré
De l’enthousiasme pour son champ d’étude, ce n’est pas ce qui manque à la professeure de l’Unifr. «Dès le début de mes études de psychologie, je me suis intéressée aux mécanismes sous-tendant l’apprentissage des mathématiques.» L’étudiante d’alors s’est notamment penchée sur la façon dont les enfants comptent et est tombée dans le chaudron de la mémoire de travail. «J’ai été happée par cette thématique et tout s’est un peu enchaîné.»

Actuellement, Valérie Camos fait partie des spécialistes de la mémoire du travail les plus reconnus à l’échelle mondiale. En collaboration avec le Professeur de l’Unige Pierre Barrouillet, elle a développé le «Time-Based Resource-Sharing model». Ce modèle «explique comment l’attention agit sur la construction des connaissances et leur maintien à court, puis à long terme, en décrivant la dynamique temporelle des mécanismes». Mais la chercheuse ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. «Mon rêve, c’est de parvenir à grouper les principaux modèles existants, dont le nôtre, en un seul modèle intégré.» Une perspective réaliste? «Si l’on est parvenu à comprendre le système solaire, on devrait aussi réussir à comprendre l’être humain, non?!»

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  • Profil de Valérie Camos
  • Lien vers l’ouvrage Working Memory – State of the science

Author

Journaliste indépendante basée à Berne, elle est née au Danemark, a grandi dans le Canton de Fribourg, puis a étudié les Lettres à l’Université de Neuchâtel. Après avoir exercé des fonctions de journaliste politique et économique, elle a décidé d’élargir son terrain de jeu professionnel aux sciences, à la nature et à la société.

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