Les méthodes de recherche qualitative : éclairages sur leurs fondements et leurs approches innovantes en sciences humaines et sociales

22e édition du Séminaire du CERF / HEP

Vendredi 8 mars 2024 de 9h00 à 12h30
Regina Mundi | C-01.109

Les approches qualitatives sont utilisées depuis des décennies en Sciences humaines et Sociales (SHS), en particulier dans les Sciences de l’Education (SE). Les fondements de la sociologie en tant que discipline reposent d’ailleurs sur un caractère qualitatif des approches des recherches en SHS. Historiquement, la dynamique de la recherche qualitative n’est pas linéaire et tend à se coupler avec la recherche quantitative, les deux approches étant inhérentes à l’activité scientifique en SHS. C’est le cas des approches convergente, exploratoire séquentielle, intégrée ou encore transformationnelle (Morrissette & Demazière, 2019). La diversité des classifications des méthodes de recherche qualitative a déjà été explorée (Royer, 2006), soulignant un consensus qui fait défaut : malgré des tentatives antérieures de fonder une typologie définitive (Tesh, 1990 ; Wolcott, 2001 ; Denzin & Lincoln, 2005), la nécessité de clarifier ce paysage méthodologique est toujours d’actualité. Cela concerne notamment la question d’un langage commun dans la verbalisation des usages des méthodes de collecte de données et dans leur analyse.  

Si la méthode de collecte de données privilégiée en recherche qualitative est l’entretien - qu’il soit semi-directif, directif, sous forme de discours de vie, etc. -, les ensembles systématiques de procédures, d’instruments et de stratégies en SHS pour le recueil des données sont diverses et riches. Les méthodes d’analyse sont également variées et peuvent être utilisées en de très nombreux contextes de recherche : la méthode historique, l’analyse des différences culturelles, la méthode sémiotique, la méthode comparative, l’approche collaborative, les recherches basées sur l’analyse des interactions, sur les processus, sur l’art, ou encore l’auto-ethnographie (Garreau & Romelaer, 2019).

C’est dans cette perspective que la première intervention proposée lors de ce séminaire se veut générale et contextualisante ; l’idée étant d’exposer et de décrire les particularités et invariants dans la posture des chercheur·euses dans leur conduite en enquête, en ciblant ce continuum dans les choix d’approches et les adaptations dans l’analyse. Cette présentation sera l’occasion de comprendre les enjeux du choix des instruments de collecte, appuyant ainsi la démarche scientifique (Dialla, 2020). 

Une deuxième intervention sera davantage spécifique et axée sur une recherche réalisée par entretiens d’auto-confrontation ou de confrontations collectives liés à l’activité de travail des participants, en utilisant des vignettes comme médiateur conversationnel. Le recours à des scénarios ou à des vignettes peut être un réel atout, notamment pour aborder de manière moins directive des sujets sensibles, mais peuvent également représenter un défi méthodologique au moment de l’analyse (Sampson et Johannessen, 2020). Ce temps de présentation permettra de cibler la spécificité du lien entre les chercheur·euses et les enquêtés, en particulier ici dans le cadre d’une recherche-action. Les analyses des verbalisations produites seront également exposées.

Par le biais de présentations de recherches, d’expériences concrètes complémentaires à des apports théoriques, cette nouvelle édition du séminaire du CERF dédiée aux méthodes qualitatives se donne pour objectif de découvrir et de questionner les enjeux de cette méthodologie, de comprendre ses mises en œuvre via les outils de récolte de données, ses intérêts et ses limites via leur analyse dans le cadre de nos champs d’étude.

 

Bibliographie

Anadón, M., & Savoie-Zajc, L. (2009). Recherches qualitatives. L’analyse Qualitative des Données28(1), 1-7.

De Gregorio, E., Arcidiacono, F., & Padiglia, S. (2015). Techniques d’analyse qualitative : le logiciel ATLAS.ti. ResearchGate. 978-3-8416-7928-4

Dialla, Z. (2020). Pertinence et réception sociale de l’entretien individuel. Composer avec la résistance des enquêtés à Donsin, Esprit Critique, 30(1). 229-247.

Garreau, L. (2019). Méthodes de Recherche Qualitatives Innovantes. Post-Print hal-02303970, HAL.

Karsenti, T. (2011). Les logiciels libres d’analyse qualitative : une alternative gagnante. Bulletin d’Information de PanAf Edu, 2.

Morrissette, J., & Demazière, D. (2019). Les approches qualitatives à l’épreuve de la quantification des sciences. Recherches Qualitatives, 38(1), 88–104. https://doi.org/10.7202/1059649ar

Royer, C. (2006). Peut-on fixer une typologie des méthodes qualitatives ? In F. Guillemette & C. Baribeau (Eds.), Recherche qualitative en sciences humaines et sociales : les questions de l'heure (pp. 82-98). Université McGill.

Sampson, H., & Johannessen, I. A. (2020). Turning on the tap: the benefits of using ‘real-life’ vignettes in qualitative research interviews. Qualitative Research, 20(1), 56-72. https://doi.org/10.1177/1468794118816618

Williamson, K., Given, L. M., & Scifleet, P. (2018). Qualitative data analysis. In K. Williamson & G. Johanson (Eds.), Research Methods:Information, Systems, and Contexts: Second Edition (pp. 453-476). Research Methods, Chandos Publishing. https://doi.org/10.1016/B978-0-08-102220-7.00019-4

 

  • Présentation 1

    Valérie Lussi Borer, Equipe AFORDENS, FPSE- Université de Genève

    Traiter les données d’entretiens d’auto-confrontation dans une approche sémiotique

    Les travaux que nous menons depuis une dizaine d’années dans le cadre de dispositifs de formation initiale ou continue à l’enseignement articulent des boucles de conception, formation et recherche. Ces boucles s’articulent autour de l’activité filmée des professionnel·les en exercice et visent à l’enrichir en prenant en compte leur vécu de l’activité de travail. Ce dernier est recueilli par le biais d’entretiens d’auto-confrontation ou de confrontations collectives à l’activité de travail. Les données issues de ces entretiens permettent d’accéder aux dimensions liées à la signification de l’activité (Peirce, 1978), à sa référentialité (Lussi Borer, Flandin, & Muller, 2018), ou encore de mettre en regard les conflits de logiques inhérents à toute activité de travail avec les compromis opératoires et les jugements d’efficacité qui sont portés par les personnes (Hubault, 1996).

    Notre contribution donnera à voir la manière dont ces données informent sur le fonctionnement de communautés professionnelles dont les membres se forment en menant des enquêtes collaboratives sur leur activité de travail (Dewey, 1993 ; Lussi Borer, & Muller, 2016) à partir d’enregistrements vidéo. Nous présenterons la manière dont nous traitons les données avec une approche méthodologique :

    1. a) s’inspirant de la théorisation ancrée pour investiguer et faire ressortir les thématiques abordées par les participants sans partir d’hypothèses a priori (Glaser & Strauss, 1967 ; Paillé, 1994) ;
    2. b) centrée sur ce qui fait signe pour les participants dans des échanges qui leur permettent de contextualiser, décontextualiser et recontextualiser leur activité de travail (Peirce, 1978).

    Dans une approche qualitative, nous montrerons comment notre analyse successive des verbalisations produites dans le cadre des entretiens donne à voir de nouvelles appréhensions, voire compréhensions de l’activité analysée dans les autoconfrontations individuelles et les enquêtes collaboratives par les participant·es à l’enquête. Avec ces verbalisations, nous suivrons au fur et à mesure de l’échange l’évolution des éléments sur un même contenu thématique en s’intéressant à la manière dont il peut être contextualisé, décontextualisé voire recontextualisé.

     

    Bibliographie

    Dewey, J. (1938/1993). Logique. Théorie de l’enquête. Paris : PUF.

    Hubault, F. (1996). De quoi l’ergonomie peut-elle faire l’analyse ? In F. Daniellou (Ed.), L’ergonomie en quête de ses principes, débats épistémologiques (pp.103-140). Toulouse : Éditions Octarès.

    Lussi Borer, V., & Muller, A. (2016). L’enquêête collaborative comme déémarche de transformation de l’activité d’enseignement : de la formation initiale à la formation continuéée. In V. Lussi Borer & L. Ria (Eds.), Apprendre à enseigner (pp. 193–207). Paris : PUF.

    Lussi Borer, V., Flandin, S., & Muller, A. (2018). Referentiality in Secondary Teachers' Video Observation of Others' Teaching. Contemporary Issues in Technology & Teacher Education, 18 (1) [En ligne]. Repéré à http://www.citejournal.org/volume-18/issue-1-18/general/referentiality-in-secondary-teachers-video-observation-of-others-teaching

    Peirce, C.-S. (1971). Écrits sur le signe. Paris : Seuil.

     

    Présentation à télécharger

  • Présentation 2

    Zakaria Serir / HEP-FR

    L’agencement qualitatif. Quelles négociations méthodologiques pour l’enquête ethnographique ?

    La communication met en avant l'importance de l'aptitude à l'improvisation dans la conduite d'une enquête, notamment lorsqu'elle adopte une approche inductive et qualitative. Dans ce contexte, le chercheur ne doit pas entrer sur le terrain avec des hypothèses rigides, mais plutôt avec un thème général, restant ouvert aux résultats. Cette flexibilité est essentielle pour ajuster les techniques de collecte de données et les questionnements en fonction des découvertes sur le terrain. La communication souligne ainsi la complexité de la réalité sociale qui ne se manifeste pas de manière évidente, nécessitant une immersion dans cette même réalité pour combler les lacunes propre à la démarche de recherche.

    Par la suite, un recul est nécessaire au chercheur pour discerner les éventuelles connexions entre les éléments du monde observé et les premières interprétations. L'importance du contexte social dans lequel évoluent les pratiques étudiées est également à souligner ; ceci en mettant en avant la relation étroite entre la culture, les interactions humaines, l'environnement et le « reste du monde ». L’intervention insiste dès lors sur la vision dynamique de la réalité sociale, la décrivant comme un processus fluide et évolutif résultant avant tout de l'interaction constante entre l'individu et son environnement. Les activités quotidiennes, les rituels, les pratiques artistiques et d'autres formes d'expression sont présentés comme des éléments façonnant et étant façonnés par ce même environnement social.

    Enfin, la communication souligne que les tensions apparentes dans la relation d'enquête peuvent être mal interprétées sans la prise en compte du contexte social. L'importance de l'écoute attentive, en mettant l'accent sur l'intellectualité des enquêtés et insiste sur la nécessité de dépasser l'ethnocentrisme du chercheur, sera mise en exergue. Malgré le désir et la bonne volonté des participants, la relation d'enquête exige la création d'une « relation profonde », inspirée du concept de « deep ecology » du philosophe Arne Naess. La présentation de ce concept favorise la réflexion méthodologique autour des changements radicaux pour rompre avec l'instrumentalisation institutionnelle et politique dans les sociétés.

     

     Présentation à télécharger