BiologiePublié le 04.08.2020

Débarquées en Europe, les drosophiles ont vite évolué


Une équipe internationale co-dirigée par l’Université de Fribourg a réalisé la première étude à l’échelle du continent européen de l’évolution génétique des drosophiles, ces petites mouches que l’on trouve sur les fruits trop mûrs. Les chercheurs ont observé une forte différence génétique entre l’Est et l’Ouest de l’Europe ainsi que des signaux révélant une partie des processus d’adaptation chez cette espèce.

Drosophila melanogaster, plus communément appelée mouche du vinaigre, est la chouchou des scientifiques. Elle est depuis longtemps utilisée dans le cadre de recherches en biologie, en particulier en génétique. Grâce à elle, on connaît mieux le fonctionnement moléculaire d’organismes bien plus complexes, tels que les humains. Très répandues et se reproduisant très vite – une femelle pond un demi-millier d’œufs en 10 jours – les populations de drosophiles sont idéales pour observer l’évolution en action, parfois en vitesse accélérée, à la fois dans le temps et dans l’espace.

Un « continuum » génétique chez les drosophiles
Partie d’Afrique et arrivée en Europe après la dernière glaciation, comme les humains, les drosophiles adore l’odeur de l’alcool, pas étonnant dès lors qu’elles aient emboîté le pas d’Homo sapiens dans ses pérégrinations. On la trouve partout: sur les fruits trop mûrs, dans les vignes et même dans les bars!

Le projet de dresser une carte génétique détaillée de la population de drosophiles en Europe a démarré en 2014 à l’instigation de Thomas Flatt, professeur au Département de biologie de l’Université de Fribourg, de la dre Josefa González de l’Université Pompeu Fabra à Barcelone et du dr Martin Kapun de l'Université de Zürich. Les résultats n’ont pas tardé: «On a très vite relevé des informations intéressantes sur les dynamiques de l’évolution, explique Thomas Flatt, comme chez l’humain, nous trouvons des gradients continus dans les différentes variantes génétiques, plutôt que des groupes distincts et isolés.» Les chercheurs ont observé un fort gradient génétique entre l’Est et l’Ouest de l’Europe, qui correspond à la transition entre climats continental et océanique. A l’instar des études comparables sur les humains, celles qui ont permis de retrouver les traces génétiques de nos migrations à travers les âges, cette étude fournit une sorte d’histoire naturelle moléculaire, un véritable socle descriptif sur lequel les scientifiques ont bien l’intention de construire les recherches ultérieures.

D’où viennent les variations génétiques favorables?
Cette étude a démontré que les variations génétiques favorables se sont répandues rapidement sur tout le continent. «Il doit s’agir d’un processus d’adaptation au climat», avance Thomas Flatt. Fait remarquable, cette variation adaptative n’est pas apparue suite à de nouvelles mutations – l’un des facteurs influençant l’évolution des espèces – mais elle était déjà présente chez un tout petit nombre d’individus dans la population initiale venue d’Afrique. «La reproduction sexuée et le mélange génétique favorisent donc la conservation des variantes minoritaires, conclut Thomas Flatt, ce qui peut s’avérer utile par la suite.»
Ce sont d’ailleurs les mêmes questions qui se posent pour les humains: par exemple, on ne sait pas encore si l’émergence de la tolérance au lactose, cruciale pour le développement de l’élevage en Europe et en Asie, est due à une nouvelle mutation favorable ou à des variations déjà présentes mais minoritaires dans les populations arrivées d’Afrique.

Des dizaines d’équipes de recherche dans 16 pays
Une étude d’une telle envergure n’aurait pas été envisageable sans une large collaboration internationale. Thomas Flatt et ses collègues ont réuni des dizaines de spécialistes, issus de 16 pays, qui se sont rendus dans 15 pays européens pour collecter des drosophiles. «Grâce à cet effort collectif, nous avons pu séquencer le génome des populations de drosophiles et analyser les variations de leur code génétique», s’enthousiasme Thomas Flatt. Au final, la publication des résultats rassemble 45 auteurs. Ce consortium (DrosEU, European Drosophila Population Genomics Consortium) a collecté un total d’informations génétiques qui s’élèvent aujourd’hui à 6 Terabytes de données.

Lois de l’évolution
A l’avenir, le consortium de scientifiques ambitionne non seulement de faire le lien entre le génome et les caractéristiques physiques des drosophiles, mais aussi d’enregistrer la fluctuation des variations génétiques d’une année à l’autre sur les mêmes sites. Pourra-t-on ainsi un jour dégager des «lois» de l’évolution? «Je ne parlerais pas de lois, car les accidents de l’histoire jouent également un rôle très importants dans l’évolution, corrige Thomas Flatt, mais il y a de grands principes, des pseudo-lois qu’on voit se répéter.» Et ces petites mouches alcooliques nous en donnent une des clés.

L’étude vient d’être publié dans la revue « Molecular Biology and Evolution» :Kapun et al 2020, Genomic analysis of European Drosophila melanogaster populations reveals longitudinal structure, continent-wide selection, and previously unknown DNA viruses. (https://academic.oup.com/mbe/advance-article/doi/10.1093/molbev/msaa120/5837682)