Portrait

Une thèse pour la vie

En 1967, alors que sa femme vient à peine d’accoucher, Martin Nicoulin décide de s’arracher à la chaleur de son foyer pour mettre le cap sur le Brésil. De ce voyage naîtra «La Genèse de Nova Friburgo», une thèse de doctorat qui, au-delà de son auteur, marquera l’existence d’innombrables brésiliens d’origine suisse.

Si les murs de l’appartement de Martin Nicoulin pouvaient parler, ils raconteraient, à n’en point douter, l’amour indéfectible de leur propriétaire pour le Brésil. A hauteur du regard, les lithographies de Nova Friburgo succèdent aux peintures abstraites, cadeaux d’un ami carioca. Depuis son premier voyage, le truculent ajoulot a franchi l’Atlantique plus d’une quarantaine de fois. Pendant plus d’un demi-siècle, le pays de la samba a jalonné l’existence de Martin Nicoulin. Aujourd’hui, il semble baliser son appartement. «Nova Friburgo, c’est son troisième enfant», se plaît à dire sa femme. 

 

Vidéo: Christian Doninelli, Unicom

Des sciences à l’histoire

Né au fin fond de la Suisse romande, dans la commune de Chevenez, Martin Nicoulin a très tôt quitté son canton pour entamer ses études. Il obtient son bac au collège de Saint-Maurice où, à l’époque, les familles catholiques plaçaient leurs enfants. Doué en sciences, c’est tout naturellement qu’il enchaîne avec la chimie, à Neuchâtel. Etonnamment, il s’y ennuie très vite, sans vraiment savoir pourquoi. Sa mère pose alors un diagnostic emprunt de sagesse paysanne: «Notre Martin, quand il a vu qu’il n’y avait pas d’idées dans les éprouvettes, il a tout quitté!»

«Par chance», car le hasard ne semble pas faire partie de son vocabulaire, Martin Nicoulin débarque un jour à l’Université de Fribourg dans un cours d’histoire dispensé par Roland Ruffieux. Le thème: la découverte et la colonisation de l’Amérique latine. Ce jour-là, le Nouveau Monde fait irruption dans son univers intellectuel.

La «Genèse de Nova Friburgo est publiée en 1973 et rééditée six fois, un record, dont une fois en portugais à l’instigation de la Bibliothèque nationale de Rio de Janeiro. Cette thèse aura des conséquences insoupçonnées. Elle fera non seulement renaître les liens entre Fribourg et sa «colonie» brésilienne, mais elle incitera aussi de très nombreux Brésiliens d’ascendance hel-vétique à se plonger avidement dans la lecture de cet ouvrage. «C’est ma bible», témoigne Solange Barbosa, une brésilienne passionnée de généalogie et descendante d’un certain Jean Laurent Sardenberg, originaire du Valais.

En 1977, une délégation fribourgeoise se rend à Nova Friburgo pour célébrer les retrouvailles entre les deux villes. Vertige. «Il y avait des milliers de personnes, des mil-li-ers de personnes, insiste Martin Nicoulin, on nous jetait des pétales de rose!»

 

Un conférencier enthousiasmant

Quand il évoque le passé, Martin Nicoulin est intarissable. Il s’enthousiasme, s’emporte et se permet d’innombrables digressions. Il se sait doué d’un charisme certain. Cela remonte à loin, au début de ses études à l’Université de Fribourg, quand il se risqua à un exposé d’une heure, sans papiers: «Je vois Roland Ruffieux et les étudiants totalement impressionnés!», s’exclame-t-il. «Même sagement assis à une table de restaurant, dès qu’il se met à parler, il focalise l’attention de tous les clients», confie l’un de ses contemporains jurassiens. «La moindre anecdote devient une épopée», renchérit son épouse.

Cette éloquence et cette passion, Martin Nicoulin les mettra également au service de la politique, dans laquelle il se lance presque par fatalité: «A l’époque, dans le Jura, nous étions tous PDC sans même avoir l’idée d’aller voir ailleurs.» En 1978, il accède à la présidence fribourgeoise du parti. Grâce – ou à cause de lui, c’est selon – le «grand vieux parti» finit par renoncer à la majorité absolue qu’il détenait au gouvernement depuis plus de 125 ans. Le sens de l’histoire, sans doute: «On m’en a voulu, mais le canton avait changé. C’était inéluctable!»

 

Une retraite hyperactive

Aujourd’hui à la retraite, Martin Nicoulin occupe la présidence de l’association Baradero-Fribourg, du nom d’une ville argentine fondée par quatre familles originaires de Châtel-St-Denis. Il siège aussi à la tête de l’Association des amis de la bibliothèque d’Andritsena, en Grèce. A ses heures perdues, l’ancien directeur de la BCU rédige des ouvrages sur l’histoire de plusieurs communes fribourgeoises. Un mandat qu’il estime devoir à sa bonne étoile, avant de se faire corriger par sa femme: «Vous savez, Martin dit toujours qu’il a eu de la chance. Moi, j’affirme qu’il la provoque, cette chance!»

 

Martin Nicoulin a vu le jour à Aigle (VD) en 1970. De 1990 à 1995, il étudie l’histoire moderne, l’histoire contemporaine et le journalisme sur les bancs de notre Université. Il a travaillé pour différents médias, presse et radio, et a été journaliste parlementaire à Berne et directeur de la BCU.

 

Fotos: STEMUTZ.COM