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Parce que nous le valons bien

L’Alma mater fribourgeoise apporte une contribution substantielle au pouvoir d’achat cantonal, comme le montre un rapport récent commandé à des chercheurs st-gallois. Le point avec Kristina Zumbusch, qui a supervisé l’étude.

L’éducation n’a pas de prix, tout le monde en convient. Et pourtant, les politiques économiques actuelles prévoient de plus en plus qu’on la chiffre. Voire qu’on obtienne un retour sur investissement. Fribourg n’échappe pas à cette tendance: le Rectorat de l’Université a mandaté, l’année dernière, une équipe de chercheurs st-gallois, afin d’analyser les effets financiers de l’Alma mater sur le Canton. Dans son rapport, publié récemment, qui porte sur l’année 2015, l’équipe menée par Kristina Zumbusch – la vice-rectrice de l’Institut für Systemisches Management und Public Governance IMP-HSG – estime à 85 millions de francs nets la contribution de l’Unifr au pouvoir d’achat cantonal. D’après l’étude, chaque habitant du Canton de Fribourg bénéficie donc, en moyenne, de 280 francs de pouvoir d’achat supplémentaire grâce à la Haute Ecole. Quant aux étudiants, ils rapportent en moyenne 4500 francs chacun.

 

Nette hausse par rapport à 2009

Afin de calculer les effets monétaires sur le Canton, les auteurs de l’étude ont mené une analyse d’incidence territoriale de tous les flux financiers de l’institution, de ses étudiants et des participants à ses manifestations de formation continue. Revenus et dépenses du Canton ont ainsi pu être comparés au niveau des pertes et profits. Concrètement, les chercheurs se sont basés, d’un côté, sur les comptes consolidés de l’Unifr et de ses instituts (y compris les frais de personnel et les postes budgétaires, tels que les contributions du Fonds national suisse ou de la Commission pour la technologie et l’innovation). De l’autre côté, ils ont calculé les effets directs liés aux étudiants et à leur consommation, ainsi qu’aux manifestations de formation continue. «L’angle choisi par nos mandataires était donc très précis, d’ordre purement financier», avertit la responsable d’équipe. «Or, on ne peut pas réduire les atouts d’une université à ses profits monétaires. Viennent s’y ajouter les bénéfices en termes d’image et d’attractivité pour le Canton, ainsi que l’apport des étudiants à sa vie culturelle, sociétale et politique. Sans oublier les retombées positives sur le marché du travail et tout le système d’innovation.» Dans le détail, il ressort du rapport qu’à lui seul, le budget universitaire a généré des effets directs de pouvoir d’achat de l’ordre de 46 millions de francs. Grâce, notamment, aux mannes perçues de la Confédération, des autres cantons, des acteurs tiers et par des fonds, ainsi qu’aux taxes universitaires versées par les étudiants, l’Unifr a donc largement dépassé les dépenses et subventions consenties par le Canton de Fribourg (soit environ 91 millions de francs). Les étudiants ont, eux aussi, entraîné une hausse du pouvoir d’achat direct: ils ont injecté 47 millions de francs de plus que ce qu’ils ont touché dans le Canton (que ce soit via un job, leurs parents ou une bourse d’études). «Ce montant s’explique largement par leurs dépenses, par exemple pour leur logement, leur nourriture, leurs loisirs, etc.», précise la spécialiste st-galloise. Pour parvenir à ce chiffre, les chercheurs se sont basés sur les estimations de l’Université, à savoir 1700 francs de budget mensuel par étudiant en moyenne. Troisième facteur de hausse du pouvoir d’achat, les manifestations de formation continue de l’Alma mater (ouvertes aux participants externes) ont profité au Canton à hauteur d’un million de francs. Après déduction des montants pris en compte deux fois – notamment les taxes universitaires, considérées aussi bien comme recettes de l’Université que comme dépenses des étudiants –, on parvient aux 85 millions de francs mentionnés plus haut. Un montant en forte augmentation par rapport à celui observé par d’autres chercheurs en 2009, lors d’une étude pilotée par Alain Schönenberger. Si ce net rebond s’explique partiellement par la hausse du nombre d’étudiants et du budget universitaire, plusieurs autres facteurs entrent en compte, dont l’augmentation des effectifs de l’Alma mater, note Kristina Zumbusch. La pilote de l’étude ajoute que les effets de pouvoir d’achat sont probablement plus élevés en Ville de Fribourg qu’ailleurs dans le Canton.

 

 

© Getty Images | Unicom

Inciter les étudiants à vivre dans le Canton

Par leurs dépenses, les étudiants de l’Unifr qui vivent en terre fribourgeoise contribuent donc de façon substantielle – presque à hauteur de 50% – à l’injection de pouvoir d’achat dans le Canton. Il est important de préciser que les auteurs de l’étude st-galloise se sont basés sur le pourcentage «officiel» d’étudiants résidant dans le Canton, à savoir ceux qui y annoncent un domicile. Or, ce taux ne représente que 40%. «Nous pensons qu’en réalité, les étudiants de l’Université vivant dans le Canton sont beaucoup plus nombreux, du moins en période de cours. Certains d’entre eux conservent probablement une adresse de correspondance chez leurs parents, domiciliés hors du Canton», présume la spécialiste. En 2015, dans le cadre d’une recherche similaire portant sur l’Université de St-Gall, l’équipe de Mme Zumbusch a mené un sondage auprès des étudiants. «Alors que seuls 46% d’entre eux étaient officiellement enregistrés dans le Canton de St-Gall, il s’est avéré que 86% vivaient sur place en période de cours.»

Si l’on se base sur l’exemple st-gallois et que l’on part du principe que la part réelle des étudiants de l’Unifr qui vivent en terre fribourgeoise, donc y dépensent leur argent, se monte à 80%, l’apport total des étudiants au pouvoir d’achat cantonal grimpe de 46 millions… à 100 millions de francs. Une différence non négligeable qui inspire ce commentaire à la responsable de l’étude: «Quel que soit le pourcentage exact d’étudiants résidant dans le Canton, il vaut la peine de chercher à le faire croître. Car les dépenses des étudiants ont un fort effet de levier sur l’ampleur des effets financiers de l’Université.» Dans le même ordre d’idées, le lieu de domicile du personnel a une incidence sur les effets de pouvoir d’achat. En 2015, seule la moitié des collaborateurs de la Haute Ecole résidait sur sol fribourgeois (contre 73% en 2009). Les auteurs de l’étude invitent par ailleurs les responsables de l’Unifr à accorder davantage d’importance à la formation continue, qui peut elle aussi avoir un fort impact monétaire. Pour ce faire, il faut «veiller à ce que les colloques, séminaires et conférences proposés soient organisés dans le Canton, ce qui n’est pas toujours le cas actuellement», conseille la chercheuse st-galloise. Et de rappeler que de telles manifestations offrent de belles cartes à jouer en matière d’hôtellerie et de restauration, notamment hors saison touristique.

 

227 millions de francs de valeur ajoutée

Parallèlement à l’incidence de l’Université de Fribourg en termes de pouvoir d’achat, les chercheurs st-gallois se sont intéressés aux effets sur la valeur ajoutée. «Il s’agit d’un autre angle», commente la responsable de l’étude, Kristina Zumbusch. On analyse ici uniquement la croissance de la valeur du Canton, générée et induite par les dépenses liées à l’Université. Il ne s’agit pas seulement des dépenses directes de l’Alma mater, de ses étudiants et de son personnel, mais aussi des effets induits, à savoir les dépenses générées par ricochet. Les auteurs de l’étude estiment qu’au total, la contribution de l’Unifr à la valeur ajoutée cantonale atteint 227 millions de francs. Pour arriver à ce montant, ils ont utilisé le multiplicateur régional 1,43, prévu pour les régions denses situées hors des grandes métropoles. Les chercheurs avertissent néanmoins que le calcul de la valeur ajoutée demeure largement plus flou que celui portant sur le pouvoir d’achat régional.

 

«L’investissement dans l’Université vaut la peine»

C’est la Rectrice de l’Unifr qui a mandaté l’étude st-galloise. Astrid Epiney revient sur ses résultats.

 

Pourquoi ce rapport a-t-il été commandé?

L’Université de Fribourg est une université internationale, mais en même temps très ancrée dans le Canton, qui la soutient fortement. L’objectif était de démontrer que, rien que d’un point de vue financier – sans parler des autres effets pour le Canton de Fribourg –, l’investissement dans l’Université «vaut la peine».

 

Quel est le résultat le plus intéressant?

Sans aucun doute, le fait que – exprimé de manière simplifiée – l’Université «rapporte» plus que ce qu’elle ne coûte au Canton. Cela implique que le maintien et le renforcement de la position nationale et internationale de l’Université est aussi dans l’intérêt du Canton d’un point de vue financier. Il faut donc prendre toutes les mesures nécessaires pour qu’elle puisse se développer.

 

Pourquoi, à votre avis, seuls 40% des étudiants de l’Unifr ont une adresse privée dans le Canton?

Beaucoup d’étudiants gardent le domicile principal chez leurs parents – qui habitent pour la plupart (environ trois sur quatre, ndlr.) hors Canton –, mais résident tout de même dans le Canton de Fribourg, du moins pendant le semestre. Les chiffres officiels dont nous disposons ne reflètent pas cette réalité, puisque nous devons nous fier au domicile mentionné par les étudiants.

 

Comment mieux exploiter le potentiel des formations continues et s’assurer qu’elles sont organisées dans le Canton?

Nous allons rendre les organisateurs de formation continue encore davantage attentifs à cet aspect. D’autant qu’il est intéressant pour nous que les participants à ces formations continues viennent faire la connaissance de l’Université.

Astrid Epiney est professeure ordinaire de droit international, droit européen et droit public suisse à l’Université de Fribourg depuis 1994. Après avoir occupé les fonctions de doyenne et 
de vice-rectrice, elle est devenue rectrice de l’Université de Fribourg en mars 2015.

astrid. epiney@unifr.ch