Portrait

Des paniers de basket suisses au dessus du panier émirati

Quadruple champion suisse de basketball, licencié en droit de l’Université de Fribourg, Yann Mrazek excelle dans tout ce qu’il entreprend. Il est aujourd’hui l’un des avocats d’affaires les plus réputés de Dubaï.?

La sonnerie de mon téléphone saurait-elle se mettre au diapason de celui qui appelle? Vive, énergique, impérative! Vite, il faut décrocher. Au bout du fil, une voix aimable, mais péremptoire: «On a le temps, trente-cinq bonnes minutes», souffle Yann Mrazek au téléphone. C’est juste suffisant pour une interview, mais sans doute déjà beaucoup pour un homme pressé qui, de surcroît, a la délicatesse de nous appeler entre deux vols. Yann Mrazek – mais faut-il faire l’offense de le rappeler aux Fribourgeois? – figure, aux côtés de son frère Harold, au panthéon des basketteurs suisses. Il a décroché trois fois le titre de champion de Suisse avec Fribourg Olympic, avant de rééditer cet exploit en 2005 avec le BBC Monthey.

Tels parents, tels enfants

La pomme ne tombant jamais loin de l’arbre, les deux frères ont de qui tenir puisque, sous le maillot tchécoslovaque, leur père Célestin a été finaliste du championnat d’Europe en 1967, tandis que leur mère Ivana, la même année, décrochait le bronze aux mondiaux de Prague. Avec les Bykov en hockey, sans aucun doute l’une des plus belles dynasties de sportifs fribourgeois!

Un tel pedigree ne prédestinait évidemment pas Yann Mrazek à entamer des études de droit à l’Université de Fribourg, ce qu’il reconnaît d’ailleurs volontiers: «J’ai choisi cette filière, parce que c’était la seule qui, tout en me permettant de concilier carrière sportive et études, ne me rebutait pas complètement.»

Les professeurs se montrent compréhensifs à l’égard de celui qui doit aller disputer des matchs aux quatre coins du pays. C’est ainsi que Yann Mrazek passe ses examens de droit canonique «sans avoir mis les pieds en classe», avoue-t-il amusé.

Mais les aménagements que requiert sa carrière sportive ont pour conséquence d’allonger ses études qu’il parachève au bout de sept ans. «Un mal pour un bien, estime-t-il avec le recul, car je suis arrivé plus mature sur le marché du travail. J’ai dû apprendre à manager une charge horaire de 80 à 85 heures par semaine.»

Tout de même un peu le nez dans le guidon, il obtient sa licence sans s’être dégoté au préalable une place de stage d’avocat. Péripétie sans conséquence, puisque Yann Mrazek se retrouve à Genève dans un cabinet de niche, sous la houlette de collègues d’excellente qualité, dont Me Alain Veuillet, ancien associé de Marc Bonnant. Au terme de son stage, l’étude lui propose de rester, mais Yann Mrazek et sa femme ont de fortes envies d’ailleurs, irrépressibles même: «J’avais pris ma retraite sportive, obtenu mon brevet d’avocat. Il était temps pour moi de sortir du sillon.»

 

 

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Une nouvelle vie à l’ombre de Burj Khalifa

Le deuxième chapitre de son histoire, Yann Mrazek l’écrira à 5000 kilomètres de Fribourg, dans une ville en pleine effervescence, Dubaï. «J’y ai décroché un contrat alléchant de prime abord, avec ce que je croyais être un salaire de 15’000 dhirams (environ 4000 francs suisses), avant de comprendre qu’il ne s’agissait là que d’une avance sur production.» Une méprise qui lance sa carrière, forcé qu’il est de dénicher des clients pour survivre. La fonction créant l’organe, il développe sa fibre entrepreneuriale à l’ombre des buildings qui jaillissent du désert. Une aventure que d’aucuns qualifieraient d’hasardeuse. Chez Yann Mrazek, l’aléa n’apparaît pourtant pas comme un risque. Au contraire, il représente une opportunité à saisir: «Au pire, je revenais en maîtrisant une langue supplémentaire – en plus du français, du tchèque, de l’anglais et de l’allemand –, et riche d’une expérience professionnelle et d’un carnet d’adresses. Je n’avais rien à perdre.»

Le temps lui donnera raison. Treize ans plus tard, Yann Mrazek se trouve à la tête de la plus grande multifiduciaire du Moyen Orient, M-HQ, qui administre plus de 2000 sociétés et compte 60 collaborateurs répartis entre Abu Dabi et Dubaï. Une ascension fulgurante à peine imaginable en Suisse, où il est si difficile de se faire une place au soleil, «à moins d’être ultra-disruptif ou issu de bonne famille». Dubaï n’avait rien d’un mirage.

Bientôt un nouveau départ?

Après un démarrage en trombe avec des taux de croissance de 25–30% durant plusieurs années, M-HQ a désormais atteint sa vitesse de croisière. Peu sujet à l’autosatisfaction, Yann Mrazek a encore pour ambition de poursuivre son expansion, non pas horizontalement, mais verticalement, en se portant acquéreur de sociétés n’offrant pas la même gamme de services. Quant à la suite, mystère! «On reçoit régulièrement des appels du pied de grands groupes, finit-il par admettre, la question est de savoir quand on va leur remettre les clés.» Tout juste concède-t-il qu’il ne serait pas inintéressant pour sa femme et ses deux enfants d’aller voir ailleurs, mais on devine qu’un retour en Suisse ne figure pas à l’ordre du jour.

Le temps file rapidement en compagnie de Yann Mrazek, enthousiaste et volubile. Avant de se diriger vers son prochain vol et prendre congé, il tient à glisser un ultime conseil aux étudiants, tiré de sa propre expérience, celle d’un avocat qui, à peine diplômé, a osé tout plaquer pour tout reconstruire: «Emmagasinez un maximum d’expériences professionnelles, apprenez des langues, partez, en particulier hors des sentiers battus! Quand je regarde un CV, je zappe les formations, je regarde le nombre de langues parlées et les centres d’intérêt!»

 

Yann Mrazek est né à Fribourg en 1976 de parents tchécoslovaques. Il décroche à 21 ans son premier titre de champion de Suisse de basketball sous les couleurs de Fribourg Olympic. Il étudie le droit à l’Université de Fribourg et, durant son stage d’avocat à Genève, décroche le sacre national une quatrième et dernière fois avec les Valaisans du BBC Monthey. Brevet d’avocat en poche, mais sans expérience professionnelle, il s’installe en 2006 à Dubaï et y fonde sa propre fiduciaire, M-HQ, puis deux sociétés sœurs, l’une spécialisée dans la comptabilité, l’autre dans l’audit. Au total, Yann Mrazek se trouve à la tête de 120 collaborateurs.