Portrait

Un parcours sans fausse note

La musicologie mène à tout à condition d’en sortir. Directeur de la RTS depuis le 1er mai 2017, Pascal Crittin en est la démonstration vivante.

«Désolé pour le retard, s’excuse-t-il en nous tendant la main, j’étais pris par une séance urgente!» Il a beau travailler à Lausanne depuis près de 20 ans, Pascal Crittin ne semble pas connaître le quart d’heure vaudois, lui qui nous rejoint à la cafétéria de la RTS avec un retard moins long que le prélude du Te Deum de Charpentier. Dans la foulée, apercevant notre photographe béquille à la main, il insiste pour porter son matériel. On nous l’avait annoncé «à l’écoute», le directeur de la RTS semble ne pas manquer d’altruisme.

Les médias ont déjà abondamment brossé le portrait de l’Agaunois, insistant à chaque fois sur son parcours atypique, celui qui l’a fait passer de la direction de chœur à celle d’une grande entreprise de plus de 1800 collaborateurs. Mais seuls les adeptes de la pensée téléologique auraient pu y voir, a posteriori bien sûr, un destin tout tracé.

Une vocation musicale tardive

Pascal Crittin a 12 ans quand ses doigts parcourent pour la première fois l’ivoire d’un piano, un âge périlleux qui a sonné le glas de bien des carrières artistiques ou sportives. Passée la phase d’enthousiasme initiale, ses parents, constatant son assiduité fléchissante, lui demandent de trancher: ce sera soit les scouts, soit la musique! Pascal Crittin décide alors de faire une croix sur les éclaireurs chers à Baden-Powell et, moins d’un an plus tard, un coup du destin vient définitivement ancrer sa vie dans la musique. Malade, le directeur du chœur du Collège de Saint-Maurice, Michel Roulin, lui demande de le remplacer au pied levé. «A 16 ans, je me suis retrouvé à diriger un chœur de 60 jeunes, des copains pour corser le tout! Je nageais!»

Débuts dans le «management»

Mais Pascal Crittin fait beaucoup mieux que surnager, puisqu’il se voit très vite confier la direction de plusieurs ensembles, dont certains composés de choristes plus motivés par l’apéro post-répétition que par la musique: «Ça a été mon premier choc, avoue-t-il, j’ai dû réaligner des personnes, m’adapter aussi à leur ambition.» Il fait là ses premières armes dans le management, une expérience qu’il qualifie d’assez rude, parfois, mais ô combien édifiante!

 

© Dom Smaz
Les années fribourgeoises

Parallèlement, après avoir longtemps rêvé de devenir archéologue, Pascal Crittin décide d’étudier la musicologie et la philologie grecque et latine à l’Université de Fribourg. Sans complètement exclure une part d’atavisme culturel valaisan, il explique y avoir surtout été attiré par l’enseignement de Luigi Ferdinando Tagliavini, sommité mondiale de musicologie. «C’était un vrai vieux maître, un magister au sens latin du terme.» Il parachèvera ses études en 1994 avec un mémoire sur le tempo dans la musique baroque française.

Premiers pas dans les médias

Toujours très actif dans le chant, mais quand même un peu fourmi sous ses airs de cigale, Pascal Crittin, arrivé au terme de ses études, se met à la recherche d’un travail plus rémunérateur. Suivant les conseils de sa mère, il frappe à la porte des Editions Saint-Augustin. Alors qu’il espère tout au plus se voir proposer un emploi de correcteur, on lui offre, presque à son corps défendant, le poste de directeur des éditions. «J’ai bien sûr objecté que je ne connaissais pas le métier, mais on m’a rétorqué que je l’apprendrais sans peine sur le tas.»

Souvent en déplacement à Paris, il sillonne aussi la Suisse romande à la rencontre des rédacteurs, mais aussi pour étoffer la rubrique des petites annonces en démarchant bouchers, boulangers et autres petits commerçants. Un vrai travail de terrain dont il n’est pas peu fier: «Nous avons redonné vie à la presse paroissiale et à l’édition. Quand je suis arrivé, il y avait seulement quelques livres publiés contre une soixantaine à mon départ!»

De l’écrit à la radio

En 2002, Pascal Crittin arrive à une nouvelle croisée des chemins, sept ans après son engagement. Espace 2, apprend-il, cherche un nouveau directeur. Pour ce poste, il peut se prévaloir de deux qualités essentielles: il connaît parfaitement le monde de la musique classique et sait fédérer des individualités autour de projets, que cela soit à la direction de ses chœurs ou à la tête des éditions Saint-Augustin. Il postule avec le succès que l’on sait et, quinze ans plus tard, on le retrouve au pinacle de l’entreprise. Pas mal pour un musicologue-philologue qui rêvait d’être archéologue!

Un poste qui requiert un cuir épais

Loin d’être un patron distant, Pascal Crittin ferait plutôt partie des huiles qui se mélangent: «On l’aperçoit souvent avec son plateau-repas à la cantine, où il ne manque jamais de nous saluer», témoigne un journaliste. Mais la RTS est aussi une vache sacrée qu’on ne saurait toucher impunément. La moindre décision, même celle écornant les émissions les plus confidentielles, expose Pascal Crittin à de sévères critiques, à l’interne et à l’externe. A 1000 lieues de sa passion originelle, la musique, il jure pourtant ne rien regretter: «Pas une seconde! Je continue parce que je suis convaincu que notre pays a besoin d’un média de service public fort. Il est indispensable de l’adapter aux changements profonds des usages du public et à la nécessaire convergence des médias. La RTS, c’est l’ADN de la Suisse romande!».

 

Né le 4 novembre 1968, Pascal Crittin est marié et père de trois enfants. Il a étudié la musicologie et la philologie grecque et latine à l’Université de Fribourg. Longtemps directeur de chœur, il est aujourd’hui à la tête de la RTS.