Portrait

Une vie en mouvement

Des bancs de l’Université de Fribourg au fauteuil de CEO de Piaget,la trajectoire professionnelle de Chabi Nouri décrit une courbe singulièrement ascendante; mais attention, pour pasticher Aïssa Maiga, «femme n’est pas son métier».

Contrairement à nombre d’étudiants, Chabi Nouri n’aura pas connu les vicissitudes du passage de la vie universitaire au monde professionnel. Avant même qu’elle ait terminé ses études en sciences économiques, l’entreprise Cartier insiste pour la débaucher. Il faut croire que le court stage qu’elle y effectue lui permet de montrer un échantillon de son talent. Toutefois, Chabi Nouri décline cette proposition, aussi flatteuse et alléchante soit-elle: «J’ai dû me battre pour finir mes études parce qu’ils voulaient absolument m’engager.» La porte reste toutefois entrouverte. Elle saura s’y faufiler en temps utile.

Quand on le lui demande, Chabi Nouri assure qu’aucune ambition démesurée ne la gouverne, pas plus qu’elle ne suit un plan de carrière. Elle en veut pour preuve ses hésitations initiales. Elle commence par des études de droit à l’Université de Fribourg avant de se raviser: «C’était trop théorique, j’avais besoin de quelque chose de plus terre à terre pour une première année.» Aussi bifurque-t-elle vers l’économie, un changement qu’elle juge, avec le recul, très productif.

Chabi Nouri garde de cette époque un souvenir lumineux qu’elle évoque souvent avec ses anciens camarades: «L’Université de Fribourg m’a modelée énormément. Il y avait une diversité de cultures, de nationalités, de religions. C’est ce qui m’a nourrie.»

 

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Afin de compléter sa formation académique, Chabi Nouri effectue des stages, «un pont indispensable vers la pratique», dont le fameux stage chez Cartier qui lancera sa carrière. Licence en poche, elle y retourne et y fait ses armes durant plus de dix ans, puis passe chez British American Tobacco, avant de revenir, six ans plus tard, en 2014, dans le domaine du luxe, chez Piaget. «Ce passage du luxe à la grande consommation n’était pas facile du tout, explique-t-elle. De découvrir des industries, des cultures et des réseaux si différents m’a permis d’avoir une vision plus globale de l’entreprise et les capacités de la diriger.»

Forte de ces expériences, Chabi Nouri accède en 2017 à la direction exécutive de la prestigieuse manufacture horlogère. «Ce n’est pas un graal, s’empresse-t-elle d’ajouter, c’est une expérience extraordinaire, c’est un challenge personnel et professionnel fascinant. Ce qui me motive, c’est d’amener toute une équipe vers un succès commun!»

En une année, Chabi Nouri a déjà défini une orientation stratégique majeure, à la recherche de l’ADN de l’entreprise. Elle s’enthousiasme: «Ma touche, c’est d’être encore plus Piaget!»

En 2017, les 100 plus grands employeurs de suisses comptaient moins de 10% de femmes à leur direction. Une statistique brute, imparable, marquée du sceau d’une époque où être femme et dirigeante ne va pas de soi. Etes-vous une pionnière? un modèle pour les autres femmes? Ces questions, Chabi Nouri a dû y répondre à l’envi, mais, pour pasticher l’actrice française Aïssa Maïga «Femme n’est pas son métier». Il n’empêche que son parcours reste exceptionnel. Evoquer sa condition de femme dans un monde d’hommes n’est donc pas complètement saugrenu, au risque cependant de l’exaspérer, car les journalistes se suivent et se ressemblent: «Au début, ça me dérangeait beaucoup qu’on revienne toujours là-dessus. J’estime que ce qui importe, c’est ce que je veux faire de l’entreprise. L’entreprise ce n’est pas que moi, ce sont 1200 personnes. Je préférerais qu’on m’interviewe sur ces sujets-là.»

A cela s’ajoute la crainte de passer pour une femme alibi: «De dire que vous êtes à votre poste parce que vous êtes une femme n’aide pas à promouvoir la femme, au contraire!» Bien qu’elle refuse de se faire le porte-étendard d’une cause, elle finit tout de même par asséner un conseil aux femmes, presque un credo: «Il ne faut pas penser qu’il y ait des limites. Il n’y en a pas!»

 

Chabi Nouri est née en 1973 à Fribourg de père iranien et de mère tessinoise. Elle obtient son baccaulauréat à l’Ecole internationale de la Chassotte à Givisiez. Licenciée en sciences économiques de l’Université de Fribourg, elle est mariée et mère de deux enfants. Elle est actuellement CEO de Piaget.