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De l'huile d'olive pour des corps d'athlètes

Les bienfaits de l’huile d’olive, en sauce ou en onguent, sont connus depuis l’Antiquité. Les athlètes grecs en faisaient une grande consommation et la libéralité des maîtres de gymnase était fortement récompensée.

L’huile d’olive, dont la production s’étend aujourd’hui essentiellement autour du bassin méditerranéen, était déjà exploitée dans l’Antiquité. Son utilisation culinaire était, bien sûr, très répandue; son emploi par les athlètes de la Grèce ancienne, en revanche, est certainement moins connu. On a coutume de dire qu’à un esprit sain doit correspondre un corps sain. Les Grecs de l’Antiquité l’avaient bien compris, eux qui avaient inventé un type de bâtiment, le gymnase, où coexistaient des emplacements pour l’étude et des lieux consacrés à l’entraînement physique.

Une armure d’huile et de sable

Les jeunes gens (à de rares exceptions près, les filles étaient exclues) se rendaient régulièrement dans ces bâtiments construits à l’origine en bois et qui n’ont, par conséquent, laissé aucune trace. Ce n’est, en effet, qu’à partir du IVe siècle avant J.-C. qu’apparaissent les premiers édifices en pierre. Après s’être dévêtus dans les vestiaires, les jeunes gens s’exerçaient, dans un espace à ciel ouvert (en cas de mauvais temps, un endroit couvert, appelé portique était à disposition) à différentes disciplines physiques telles que la course à pied, le saut en longueur, la lutte ou le lancer du javelot, sous l’œil d’entraîneurs et de surveillants.

Comme les sportifs d’aujourd’hui, ceux de l’Antiquité devaient préparer leur corps à l’effort. A défaut d’onguent artificiel, ils s’enduisaient donc d’huile d’olive dont la fonction protectrice leur permettait de se mettre en condition. Pour préserver leur corps des dommages du soleil, ils répandaient ensuite sur eux du sable en le faisant glisser de leur main en forme de cornet, ce qui évitait en outre à leur corps d’être trop glissant et offrait des prises à leur adversaire.

Rien ne se perd

Une fois les exercices accomplis, les athlètes enlevaient, à l’aide d’un petit racloir, le strigile, ce mélange d’huile, de sueur et de sable. Cette mixture, appelée gloios, était récupérée par le gardien du gymnase et revendue comme huile pour les lampes. L’utilisation de l’huile ne s’arrêtait pas là, car, avant de quitter l’endroit, les athlètes devaient encore apaiser leurs muscles endoloris par l’effort. C’est pourquoi ils l’utilisaient aussi comme huile de massage. Parfois même, les jours de fête ou lors de circonstances particulières, l’huile était parfumée, leur permettant ainsi de sentir bon – pour un moment seulement, car les règles de l’hygiène dans l’Antiquité n’étaient, de loin, pas aussi strictes que les nôtres. On imagine ainsi aisément l’énorme consommation d’huile pour un gymnase durant une année.

 

Lloret de Mar, Espagne © KEYSTONE SDA
Une générosité qui coule comme de l’huile?

Le territoire de la Grèce antique, correspondant grosso modo au territoire grec actuel, comptait plusieurs centaines de gymnases. Chacun d’eux avait à sa tête un magistrat public, élu ou nommé pour une année, appelé le gymnasiarque, c’est-à-dire chef du gymnase. Ces gymnasiarques avaient la tâche d’administrer et de diriger les bâtiments dont ils étaient responsables. Il s’agissait pour eux de faire régner une discipline sévère, d’accomplir les sacrifices prescrits, d’organiser les compétitions prévues ou encore de veiller à ce qu’il y ait suffisamment d’huile à disposition. La plupart des gymnasiarques en fonction se contentaient de gérer le gymnase avec les sommes mises à disposition par l’Etat. Comme de nos jours, les crédits alloués n’étaient pas excessifs. Ainsi, l’huile à disposition était-elle souvent bon marché et de mauvaise qualité. Il n’était pas rare non plus qu’un gymnase restât fermé des mois à cause d’un manque d’huile. Cependant, à l’inverse, il arrivait parfois qu’un gymnasiarque généreux soit élu ou nommé. Ce dernier, alors, ne se contentait pas de la somme à disposition, mais déliait les cordons de sa bourse afin d’offrir à son gymnase, entre autres avantages, de l’huile de meilleure qualité. La cité reconnaissante lui témoignait alors sa gratitude sous forme de décret honorifique.

Ces décrets honorifiques permettaient à l’Etat d’exposer les mérites accomplis par un citoyen et les récompenses octroyées en remerciement. Pour assurer pérennité et publicité à de telles actions, ces textes étaient gravés dans la pierre et exposés dans un endroit public. Ne nous faisons cependant pas d’illusions. Les badauds de l’Antiquité n’étaient pas différents de ceux d’aujourd’hui; ils ne passaient pas leur temps à lire des textes officiels! En revanche, cette pléthore de textes officiels gravés fait le bonheur des historiens modernes.

Au rythme de la lune

Ces textes, inscrits sur des pierres, ont souvent survécu au-delà des espérances de ceux qui les avaient fait graver. Des fouilles, menées depuis le XIXe siècle, ont permis d’en retrouver des milliers soit sous forme entière, soit de quelques lignes, voire de quelques mots. Parmi ces documents, il y en a quelques-uns, rares, qui concernent les bienfaits accomplis par les gymnasiarques, généreux dans toutes sortes de domaines. Toutefois, concentrons-nous spécifiquement sur l’huile. Tel gymnasiarque fournit de l’huile «généreusement», sans que l’on puisse déterminer précisément ce que cela signifie, d’autant plus, dit le texte que c’était une année exceptionnelle… de treize mois! En effet, si les Anciens avaient bien, comme nous, des années de douze mois, il s’agissait cependant de mois lunaires. Ainsi le calendrier officiel perdait-il chaque année une dizaine de jours par rapport au calendrier solaire. C’est pourquoi, pour faire coïncider les deux, on était obligé d’y introduire régulièrement un mois supplémentaire, appelé mois intercalaire. Le gymnasiarque généreux devait alors s’acquitter de ses tâches un mois supplémentaire et ce geste était scrupuleusement relevé. Tel autre gymnasiarque est félicité pour avoir permis que l’huile qu’il offrait sur ses propres biens, en quantités généreuses et de bonne qualité, fût à disposition toute la journée et non seulement à heures fixes.

La générosité des gymnasiarques dans tous les domaines et particulièrement dans celui de l’huile, est un moyen pour les historiens modernes de comprendre les changements qui ont marqué la société de l’Antiquité. Les Grecs, en effet, vivent dans une société machiste, dans laquelle l’égalité ne concerne que les citoyens mâles. Sont citoyens uniquement les hommes appartenant à une cité, donc ni les étrangers – même libres – ni les esclaves. Ce n’est que tardivement qu’apparaîtront des gymnasiarques très riches, qui n’hésiteront pas à utiliser leurs biens pour démontrer leur générosité. Un phénomène qui porte le nom d’évergétisme et sera repris par la société romaine où les différences basées sur l’argent reflèteront plus les inégalités sociales.

 

Notre expert Olivier Curty est maître d’enseignement et de recherche au Département d’histoire de l’Antiquité, spécialisé dans l’étude de l’épigraphie de l’époque hellénistique.

olivier.curty@unifr.ch