Recherche & Enseignement

La course aux bourses

Avoir des idées, c’est bien. Réussir à les concrétiser, c’est mieux. Jonas Pollard et son équipe planchent sur un appareil de diagnostic rapide de  la malaria, une maladie qui affecte plus de 200 millions de personnes dans le monde. Pour passer de la recherche à la mise sur le marché, le chimiste de l’Institut Adolphe Merkle s’est lancé dans une véritable course aux financements.

Quand on aime la recherche, on ne compte pas, en particulier les heures de travail. L’idée de mettre au point un appareil de diagnostic rapide de la malaria est née un beau soir de l’année 2015, plus aux alentours de minuit qu’à l’heure de la sortie des classes. Elle est le fruit d’un vrai travail d’équipe, puisque l’étincelle initiale a jailli dans le cerveau d’Omar Rifaie Graham, collègue de Jonas Pollard, sur la base des travaux de ce dernier. Si le principe scientifique est «relativement simple», sa réalisation technique, en revanche, est une autre paire de manches. Et pour passer du stade de la découverte en laboratoire à l’innovation qui change des vies, un coup de pouce financier s’avère indispensable. Le chercheur, quant à lui, doit très vite endosser le costume d’entrepreneur.

 

Jonas Pollard, en quoi votre outil de diagnostic de la malaria diffère-t-il de ceux qui existent déjà sur le marché?

La force de notre appareil, c’est sa sensibilité. Je m’explique. De nombreux pays ont déployé d’immenses efforts pour éradiquer la malaria. Ils y sont parvenus, mais restent à la merci d’une nouvelle flambée d’infections. On ne peut, en effet, jamais exclure que subsiste une poignée de personnes infectées, mais ne présentant pas de symptôme et donc échappant à tout contrôle. Il suffit que ces quelques individus asymptomatiques se fassent piquer par un moustique pour que le parasite soit transmis plus loin avec, à la clé, des explosions de malaria là où on croyait la maladie disparue. Notre test, contrairement aux instruments conventionnels, permet aux autorités sanitaires de repérer ces individus asymptomatiques, de les soigner et, à terme, de se débarrasser complètement du parasite.

 

Comment est-ce que votre appareil fonctionne?

Nous utilisons une molécule que l’on trouve uniquement dans le sang des personnes infectées par le paludisme. L’appareil en amplifie la présence par une réaction chimique ce qui nous permet de déterminer, visuellement, si la personne est atteinte ou pas, même si l’infection est infime.

 

Cela semble très simple. Pourquoi avoir besoin de tant de financements?

En fait, c’est beaucoup plus compliqué que ça en a l’air. Je vous ai livré la version simplifiée (rires). Extraire cette molécule du sang est une opération très complexe qui requiert d’importants moyens. Notre appareil en est encore au stade du prototype et de nombreux détails restent à peaufiner. Nous devons également conduire des tests grandeur nature sur le terrain, notamment au Brésil où nous nous sommes déjà rendus au printemps dernier.

 

Est-ce pour financer ces travaux que vous avez postulé pour une subvention du programme BRIDGE?

L’idée, c’est de quitter la recherche fondamentale et de mettre la technologie sur le marché. Cette étape requiert des investissements conséquents. Les 130’000 francs que j’ai reçus du programme BRIDGE ont permis de payer mon salaire pendant un an, de financer le développement d’un appareil de diagnostic par l’Ecole d’ingénieurs de Fribourg, ainsi que d’acheter les consommables utilisés dans le laboratoire pour développer la méthode.

 

La concurrence est rude. Pour obtenir ce financement BRIDGE, vous avez dû vous imposer face à plus de cent candidats. Quel est votre secret?

J’ai dû fournir un travail très conséquent pour préparer le dossier, mais j’ai aussi pu compter sur le soutien de l’Institut Adolphe Merkle, notamment d’Eliav Haskal, responsable du Knowledge & Tech Transfer. C’était indispensable car, pour moi en tant que scientifique, des choses me paraissent importantes qui ne le sont pas forcément pour les membres du jury. Ce qui les intéresse, eux, c’est de voir comment notre projet peut impacter notre société, comment notre produit peut se vendre, pas comment fonctionnent les réactions de polymérisation.

 

 

© Getty Images

Après le premier round de sélection, vous avez encore dû passer un grand oral…

Je faisais face à une vingtaine de personnes: des professeurs, des managers d’entreprise et des CEO. On m’a tendu un micro, informé que j’avais dix minutes, pas une seconde de plus. C’était intimidant, mais ça c’est bien passé. On m’a ensuite un peu cuisiné avec des questions sur la faisabilité du projet. C’était une discussion, pas un interrogatoire, qui s’est avérée très constructive.

 

Il y a une part de show tout de même?

Il faut être vendeur! Oui, un peu. C’est un jeu d’acteur, mais c’est ainsi dans le monde réel. Pour créer une entreprise, il faut savoir se vendre.

 

Et à quoi vous a servi le BRIDGE?

Sans cette bourse, je n’aurais pas pu approfondir les aspects commerciaux de notre ap-pareil. Quand on travaille avec de l’humain, l’erreur est à proscrire à tout prix. La MedTech nécessite un temps de développement très long, raison pour laquelle nous avons postulé pour un subside supplémentaire. Le BRIDGE m’a aussi offert les services d’un mentor qui me guide dans les différentes étapes et qui me fournit des contacts dans le domaine de l’industrie et de la malaria.

 

Et c’est ainsi que vous avez obtenu une bourse de la fondation Gebert Rüf?

Là aussi, nous avons dû monter un dossier béton, agrémenté d’une vidéo pour «pitcher» le projet. Au final, nous avons obtenu un financement conséquent: 290’000 francs. La fondation Gebert Rüf cherche à aider les projets qui se situent dans la «vallée de la mort», c’est-à-dire entre le stade de la recherche fondamentale et celui de l’entreprise viable financièrement. C’est un cap difficile à franchir. Souvent, les start-up, à court d’argent, doivent mettre la clé sous le paillasson. C’est une énorme perte de temps, de potentiel et d’énergie.

 

Gebert Rüf, BRIDGE! Avec un tel viatique, vos squelettes ne risquent plus de blanchir dans cette vallée de la mort?

On le souhaite, d’autant plus que nous avons également bénéficié d’une troisième bourse de la Leading House for the Latin American Region de l’Université de Saint-Gall. Elle a financé une collaboration avec Porto Velho, au Brésil, et permis de faire les premiers tests de terrain. Maintenant, nous devons passer au stade de production, entrer en contact avec les décideurs des pays touchés par la malaria, obtenir les certifications de l’OMS. Cela prend du temps et cela coûte, mais ça va marcher. J’en suis convaincu.

 

 

Notre expert Jonas Pollard a commencé ses études à Marseille, avant d’étudier à Edimbourg, Strasbourg et Lausanne. Il a ensuite rejoint l’équipe du Professeur Nico Bruns à Bâle, puis l’a suivi dans son déménagement à l’Institut Adolph Merkle.

jonas.pollard@unifr.ch

Les bourses:BRIDGE (www.snf.ch/fr/funding/programes/bridge)

Gebert Rüf (www.grstiftung.ch)

Leading House for the Latin American Region (cls.unisg.ch/de/forschung/leading-house)