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Du labo à la start-up: dépister le cancer du sein autrement

Une équipe du Département d’oncologie, microbiologie et immunologie a découvert des marqueurs dans le sang qui permettent  d’identifier la présence d’un cancer du sein. De quoi révolutionner le dépistage de la maladie.

Un test sanguin pour dépister le cancer du sein et détecter les rechutes de manière précoce, c’est ce que propose Xemperia SA, un spin-off de l’Université de Fribourg. Ses fondateurs·trices s’appuient sur des découvertes faites par une équipe de recherche de la Faculté des sciences et de médecine. La société espère commercialiser sa solution d’ici 2028.

A la tête de la start-up, Curzio Rüegg, professeur de médecine à l’Unifr, et Sarah Cattin, responsable de la plateforme Cell Analytics Facility de la Faculté des sciences, reviennent sur leur découverte, le chemin parcouru et leurs aspirations.

Quelle est la nature de vos découvertes et que permettent-elles dans le cadre du dépistage d’un cancer du sein?

Curzio Rüegg: Les cellules cancéreuses interagissent avec les tissus avoisinants, ce qui implique des réactions des systèmes immunitaires et inflammatoires. Ces cellules immunitaires et inflammatoires vont ensuite circuler dans le sang. Elles peuvent s’arrêter à proximité de la tumeur et faciliter sa progression, devenant des facilitateurs de la croissance et des disséminations (métastases) tumorales. Le but avec notre test est de les utiliser comme des «sentinelles» révélatrices de la présence d’une ou de plusieurs tumeurs. Grâce à une prise de sang et à une analyse complexe de cet échantillon sanguin, nous allons détecter des réactions de l’organisme, des signes de la présence d’un cancer en développement.

Pourquoi vous êtes-vous focalisés sur le cancer du sein?

Curzio Rüegg: Le cancer du sein est un cancer très fréquent. Il est même le plus répandu chez les femmes. Les dégâts provoqués sont importants, tout comme le nombre de décès, malgré les progrès dans les traitements et malgré les efforts réalisés dans la prévention et le dépistage. Tout cela est encore perfectible.
Sarah Cattin: Il y a aussi une part d’opportunisme. On connaît bien la biologie de ce cancer. Il est beaucoup étudié et de grandes banques de données existent et sont accessibles. On ne partait pas de nulle part.

Quel était votre point de départ de votre recherche?

Curzio Rüegg: Ça fait treize ans que notre groupe de recherche est établi à Fribourg. L’hypothèse qui a mené à ces résultats a émergé il y a une dizaine d’années. Il a d’abord fallu confirmer que nos suspicions avaient un intérêt et savoir comment les approcher. Pour être honnête, il y a dix ans, les technologies à disposition ne permettaient pas les observations que nous avons réalisées. Ce sont donc les avancées technologiques qui rendent possibles de nouvelles études.
Sarah Cattin: Nous sommes dans un processus continu. Nous nous appuyons sur nos études précédentes et sur des observations que nous avons pu faire sur des souris. Il s’agit ensuite de comprendre comment les éléments interagissent, d’analyser, de comparer nos observations avec les banques de données existantes…

Est-ce que votre hypothèse de base s’est révélée exacte?

Curzio Rüegg: On aboutit rarement à l’hypothèse qu’on avait émise au départ. La recherche n’est pas linéaire. Ce sont plutôt une multitude de lignes sur lesquelles on avance en parallèle. L’hypothèse de base ne doit donc pas être trop précise pour ne pas empêcher ces digressions.

Dans le cas de vos recherches sur le cancer du sein, la réponse est-elle éloignée de l’hypothèse?

Sarah Cattin: L’idée centrale qui nous a guidés était de suivre des patientes qui développaient des métastases alors qu’elles suivaient un traitement. Nous voulions comprendre comment les malades répondaient au traitement et quand et pourquoi le cancer arrivait à passer outre ce traitement.
Curzio Rüegg: On pensait se situer assez tard dans l’avancée de la maladie, avec des indicateurs pour une reprise de l’activité métastatique. Mais, au final, nos découvertes nous ont menés également tout au début du processus, puisque les biomarqueurs identifiés favorisent le dépistage, donc bien en amont de ce qu’on avait imaginé.

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Curzio Rüegg est professeur ordinaire au Département d’oncologie, microbiologie et immunologie. Ses recherches portent sur les mécanismes de la métastase, la dormance du cancer du sein, les biomarqueurs du cancer et la détection du cancer.
curzio.ruegg@unifr.ch

Comment est financée une recherche comme celle qui vous a amenés à découvrir ces biomarqueurs?

Sarah Cattin: Lorsque nous sommes dans le domaine de la recherche expérimentale, le financement est assuré par l’université et le Fonds national pour la recherche scientifique (FNS), dont c’est l’un des rôles, mais aussi par des soutiens obtenus auprès de fondations ou de la Ligue suisse contre le cancer. Viennent ensuite les recherches cliniques, qui impliquent des interactions avec des êtres humains ou des échantillons provenant d’êtres humains pour confirmer les réponses obtenues en laboratoire et s’assurer qu’elles tiennent la route d’un point de vue statistique. Cette deuxième phase nécessite d’autres sources de financement. Ce sont essentiellement des fondations, dédiées à telle ou telle cause, qui vont soutenir des projets qui leur semblent intéressants et porteurs.
Curzio Rüegg: Arrive enfin le troisième stade, celui où l’on vise à commercialiser le fruit de nos recherches, ce qui sort complètement du rôle de l’université et des fondations. On parle alors de levée de fonds et d’investisseurs privés. On entre dans un autre monde qui n’est pas du tout le nôtre.

Un monde que vous connaissez déjà pour avoir lancé deux autres start-up précédemment?

Curzio Rüegg: Justement, c’est pour ça que je dis que ce monde n’est pas le nôtre. J’ai appris de ces expériences. Nous avons donc essayé de prendre toutes les précautions pour nous protéger en créant une SA, en brevetant nos découvertes et en nous entourant d’expert·e·s.
Sarah Cattin: Mais nous savons que nos objectifs peuvent diverger de ceux des investisseurs·euses. Nous aspirons à aider le plus grand nombre grâce à un test sanguin qui, selon l’état de nos connaissances, permettra un diagnostic plus fiable et moins onéreux que le système de dépistage actuel. Le marché est potentiellement énorme et nous allons attirer une «clientèle» avec des intérêts plus économiques que philanthropiques. Nous devrons gérer leurs attentes et ne pas précipiter les dernières étapes.

L’objectif est-il de remplacer les mammographies de dépistage organisées pour les femmes entre 50 et 70 ans par votre test sanguin?

Curzio Rüegg: Si l’on se penche sur les chiffres actuels, le système de dépistage est perfectible. D’une part parce que la mammographie ne concerne que les 50 à 70 ans, alors qu’un quart des malades développent un cancer avant l’âge de 50 ans. D’autre part parce que l’imagerie passe à côté d’une partie des lésions: environ 40% ne sont pas visibles. Sans compter que le dépistage révèle énormément de résultats positifs qui ne sont pas dus à un cancer. Beaucoup de biopsies sont réalisées sans confirmer la maladie, avec tout le stress que génère ce genre de prise en charge pour les patientes.
Sarah Cattin: Nous espérons nous positionner en amont pour que toutes les femmes, dès 35 ou 40 ans, soient testées régulièrement et de manière moins invasive. La mammographie ne va pas disparaître pour autant, mais elle sera utilisée en cas de réponse positive au test pour localiser la ou les lésions.

Est-ce que vous êtes encore loin de pouvoir lancer votre test sur le marché?

Sarah Cattin: Nous espérons être prêts en 2028.

Quelles sont les étapes à venir?

Sarah Cattin: Nous devons d’abord terminer une étude réalisée dans le cadre universitaire. Jusque-là, nous n’avons pris en considération que des patientes souffrant d’un cancer du sein. Nous devons nous assurer que les signaux sont bien spécifiques en prenant en compte des malades souffrant d’autres pathologies. Ensuite, il y aura un switch technologique à réaliser pour obtenir un kit utilisateur. Et surtout, nous devons réaliser une importante étude de validation avec des comparaisons entre les résultats obtenus grâce à ce kit final et ceux obtenus dans le cadre d’un dépistage traditionnel par mammographie. Tout cela dans des conditions réelles pour voir si notre produit est compétitif au niveau de la détection. Ce qui demandera encore quelques années et des moyens financiers importants.

Votre entreprise Xemperia est basée à Fribourg. C’est important pour vous?

Curzio Rüegg: Oui, c’est important. Ces recherches ont été réalisées à Fribourg, grâce à des collaborations avec l’Hôpital fribourgeois HFR, le Centre du sein fribourgeois, le CHUV, et d’autres centres romands pour les analyses cliniques. Notre test est un produit local! Dans sa stratégie, le Canton de Fribourg mentionne régulièrement l’innovation. Je pense qu’il a des chances à saisir en soutenant notamment les innovations produites par l’Unifr. Le succès du Canton ne se mesurera pas à l’importance de la fortune créée par les impôts récoltés, mais par la valeur des projets innovants qui feront bouger les lignes au-delà de ses frontières.

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Sarah Cattin est scientifique, responsable d’une plateforme technologie au sein du Département d’oncologie, microbiologie et immunologie.
sarah.cattin@unifr.ch